Mastodon : une nouvelle page de l’Internet ?
Depuis quelques semaines, quelque chose est en train de se passer sur Internet.
Quelque chose qui me rajeunit quelque part avec cette sensation qu’on tourne une page et j’en ai vu quelques-unes se tourner depuis mes premières connexions en 1994 (je vous épargne ma période Minitel) !
Ces pages peuvent se nommer Gopher, HTTP, MP3, Altavista, Google, Netvibes, GoogleMaps, Facebook, Twitter…
Mastodon c’est ce nouveau réseau social qui monte actuellement. En surface on peut n’y voir qu’un clone libre et décentralisé de Twitter. Son interface dans sa version web est en effet très semblable à TweetDeck utilisé par les plus accrocs à Twitter (surtout indispensable lorsqu’on a plusieurs comptes).
Mastodon a démarré sur les chapeaux de roues après la publication d’un article sur medium.com par son développeur, Eugen Rochko . Le projet n’est pas techniquement révolutionnaire, il s’appuie d’ailleurs sur un protocole existant (OStatus).
Pourquoi cette fois-ci l’engouement est là et le succès semble être au rendez-vous ?
Une histoire de marche (et pas de marché)
Je pense que c’est la hauteur de la marche à l’entrée, c’est à dire la facilité à s’y mettre, qui fait qu’on adhère ou pas. Pour ce réseau social décentralisé, il y a 2 marches à abaisser au maximum, celle pour les utilisateurs et celle pour les administrateurs des serveurs (les “instances” dans le jargon de la pachysphère).
L’interface claire, simple, épurée, inspirée en partie de Tweetdeck séduit facilement les utilisateurs qui sont le carburant d’un réseau social. Il est en effet indispensable d’avoir une masse critique suffisante de participants pour “faire réseau”.
Côté serveurs instances la marche à l’entrée est relativement basse, les briques logicielles utilisées sont relativement courants: nodejs, ruby, postgresql, redis et nginx. Elles sont toutes libres, éprouvées, communes et donc facilement déployables sur tout type de distribution linux. L’utilisation d’un protocole existant (OStatus) offre de plus une interopérabilité avec les précédents outils qui ont pu être conçus autour.
Le moteur est donc là lui aussi.
Quelques semaines auront suffit pour que plus de mille instances soient déployées et que plus de 400.000 comptes soient ouverts. La masse critique de départ semble atteinte et dépasse petit à petit le cercle des éclaireurs numériques. Une première tâche d’huile s’est très vite répandue en France, puis une seconde au Japon et une troisième semble démarrer en Espagne.
La pression du buzz initié dans le noyau libriste français a percé la croûte des médias traditionnels: Le Monde et Libération ont publié des articles sur le phénomène emboîtant le pas sur les médias spécialisés comme numerama qui avait très vite saisit que… quelque chose se passait en installant sa propre instance !
Pourquoi est-ce une nouvelle page ?
Une page se tourne car, c’est un peu un retour aux fondamentaux de l’internet, c’est à dire d’un réseau décentralisé. Les réseaux sociaux que l’on connait actuellement sont centralisés, propriétés d’entreprises tellement massives qu’il y a rarement de la place pour une concurrence.
Google+ en a fait les frais malgré la force de frappe de sa maison mère n’a pas réussit à l’imposer face à Facebook. Twitter résiste mais a un avenir incertain car sa rentabilité n’est toujours pas au rendez-vous. On a déjà presque oublié Myspace !
Mastodon par son côté décentralisé permet de sortir cette logique pilotée par le marché et surtout permet une reprise de contrôle direct, car tout le monde peut librement monter son instance.
La mienne tourne chez moi (auto-hébergée). Elle m’a donné l’occasion de me familiariser avec le fonctionnement avant d’envisager un déploiement plus sérieux. Elle accueille quelques comptes qui ont permis de passer le virus à des collègues, mais je la réserve maintenant à des amis ou ma famille en complément de leurs comptes mail gérés depuis des années sur un vieux Mac Mini posé sur une étagère de mon bureau.
Sur mastodon on a commencé par parler de… mastodon
C’est assez classique et révélateur des questions que l’ont se pose devant une page blanche. C’est aussi une des raisons qui me conforte dans cette idée de nouvelle page.
Doit-on spécialiser les instances ou rester généraliste… ou un mix ?
J’imagine quelque chose proche de ce qui s’est passé avec les emails. Des instances très généralistes pourront co-habiter avec des instances spécialisées plus thématiques voire des instances réduites à leur plus simple c’est à dire un seul compte (mastodon peut déjà fonctionner dans ce mode “mono compte”).
Quelles sont les bonnes pratiques et comportements à l’usage ?
On a là un sujet de “netiquette” car ce ne sont pas des CGU (illisibles) qui vont régir notre façon d’utiliser ce nouvel outil. A nous de repenser ce que nous voulons ou pas, acceptons ou pas. Des questions de choix collectifs, qui peuvent être de plus faits instance par instance car les règles, cultures, traditions et lois sont diverses dans notre village global. De premières questions concrètes se sont posées avec les “lolicon” japonais…
Quelles sont les améliorations à apporter ?
Ici c’est le code libre et ouvert qui nous permet d’oser nous poser ces questions mais aussi d’y répondre en proposant directement des améliorations au code, des traductions dans de nouvelles langues, de la documentation, des tutoriels… là aussi une toute autre approche par rapport aux plats cuisinés que nous servent les plateformes qui bien que s’appuyant largement sur des technologies libres, ne sont pas pour autant elles même ni libres ni ouvertes.
Quelle modération et quelles sont les responsabilités des administrateurs d’instances ?
A-t-on un statut d’hébergeur ou d’éditeur ? Comment garantir la pérennité d’une instance ?
C’est ici notre nouvelle liberté reconquise qui apporte en retour de nouvelles responsabilités.
Cette nouvelle page est prometteuse, il nous reste à bien la remplir pour être fiers lorsque nous la tourneront quand la prochaine arrivera !